Synergologie : décoder le langage du corps au-delà des mots

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La synergologie, discipline d’analyse du langage corporel, prétend décoder l’inconscient via la gestuelle, les expressions faciales et la posture. Entre promesses d’efficacité, adoption dans certains milieux professionnels et critiques de pseudoscience, cette méthodologie soulève des débats. En France comme au Québec, la synergologie interroge à la fois son statut scientifique, son intérêt en communication non verbale et son usage en recrutement ou négociation. Cet article explore ses fondements, ses applications, ses limites et ses perspectives.

1. Les origines d’une méthode controversée

Née au Québec, la synergologie a été conceptualisée et popularisée par Philippe Turchet, synergologue et formateur, qui affirme décrypter la communication non verbale grâce à un lexique gestuel. L’idée : relier modalités verbales et corporelles pour révéler un écart entre le message verbal (les mots) et le langage corporel (posture, gestes, mimiques faciales). Elle s’inspire des travaux d’Albert Mehrabian (règle des 7‑38‑55 %) sur l’impact de la communication non verbale et paraverbale. Turchet s’appuie sur des formations, des ouvrages destinés au grand public et des stages en entreprise.


Applications courantes :

  • entretien d’embauche, recrutement, décryptage des attitudes corporelles
  • négociation, séduction, prise de parole, charisme
  • milieu judiciaire et police, détecter le stress, potentialité du mensonge
  • coaching professionnel, formation communication non verbale

Le choix des postures (bras croisés, mains dans les poches), les micro expressions (visage exprime), le contact visuel, les gestes d’ouverture ou fermeture, l’intonation et la séduction sont analysés pour décrypter les signaux.

2. Ce que la science en dit

Plusieurs chercheurs en communication, psychologie et épistémologie la considèrent comme une pseudoscience :

  • Une équipe de l’Université de Montréal (Vincent Denault, Serge Larivée, Dany Plouffe, Pierrich Plusquellec) conclut que la synergologie « est une pseudoscience du décodage du non‑verbal ».
    Ils soulignent l’absence de paradigme scientifique, de revues à comité de lecture, de critères poppériens, et critiquent le recours aux mise en demeure de détracteurs (presse, chercheurs) comme tentatives inappropriées de légitimation.
  • Pascal Lardellier la qualifie également de pseudoscience usant de « similithéorie du décodage du non verbal ».
  • Le site sceptique Les Sceptiques du Québec note un vide expérimental : aucune étude ne vérifie la corrélation précise entre un geste et une émotion spécifique, faisant de la synergologie un outil non validé scientifiquement.
  • Des travaux récents en neuro-imagerie invalident certaines hypothèses classiques de la synergologie (par exemple micro‑expressions et détection de mensonge).


3. Promesses et limites pratiques

Promesses :

  • Outils pour analyser les expressions faciales, signaux non verbaux et intentions cachées, utiles en séduction, prise de parole, recrutement et entretien de sélection.
  • La posture (dos droit, buste bombé) peut suggérer confiance, tandis que les bras croisés, regard fuyant, mains dans les poches peuvent traduire nervosité, mal à l’aise, fermeture.
  • Décoder les micro‑expressions autour de la bouche (lésions, caresses) permettrait d’identifier des contradictions ou un mensonge.

Limites :

  • Les gestes ne sont pas universels : variables selon culture, personnalité, contexte. Par exemple, la gestique liée à la gêne ou au stress peut être liée à l’éducation ou à un malaise, pas forcément toujours un mensonge.
  • L’interprétation isolée d’un geste est risquée, sans description précise du contexte verbal, intonation, mimiques.
  • Aucune méthode standardisée n’a été démontrée scientifiquement ; les signaux tels que « poignée de main » ou « sourire » ne traduisent pas nécessairement une émotion stable.


4. Réception institutionnelle et usages professionnels

Malgré les critiques, la synergologie a trouvé un public :

  • Barreau du Québec proposait des formations sur la synergologie, utilisées dans la profession d’avocat ou juge, afin de « détecter des signaux non verbaux ».
  • Des policiers du SPVM et procureurs y auraient recours pour analyser les attitudes corporelles lors d’interrogatoires.
  • Recruteurs et formateurs en prise de parole en public l’utilisent pour décoder l’auditoire, maîtriser son body langage, ajuster sa posture et son charisme.

Ces usages versent dans un registre de techniques pragmatiques : l’accent est mis sur l’observation des signaux corporels, posture, gestes, contact visuel, pour enrichir l’écoute, sans nécessairement revendiquer la scientificité.


5. Des effets subjectifs aux limites objectives

Quand on introduit des mots comme gestes parasites, signes d’intérêt, indices verbaux et non verbaux, ou encore gestes d’ouverture, nombreux professionnels rapportent un effet positif : meilleure lecture du comportement non verbal, fluidité dans la communication verbale, séduction professionnelle, posture de confiance. On parle d’effets subjectifs, de validation personnelle, voire d’un charisme accru.

Pour autant, sur le plan scientifique, la synergologie souffre d’un manque cri­ant de preuves solides : pas de revues à comité de lecture, pas d’études contrôlées, pas de validation mesurable. Des disciplines voisines, telles que la programmation neuro‑linguistique (PNL) ou l’analyse des micro‑expressions dans le mensonge, ont elles-mêmes été critiquées ou invalidées. La synergologie, en empruntant des codes scientifiques, en créant des codes gestuels formels, tente de se légitimer, mais sans base empirique robuste.

Enjeux :

  • En recrutement ou justice, l’usage de ces outils sans validation pourrait entraîner des évaluations biaisées des candidatures ou des témoignages.
  • En formation, la synergologie permet un apprentissage du langage corporel, intangible et affectant l’inconscient, à condition que ses interprétations restent modulables et non absolues.


6. Une approche pragmatique : décoder le non verbal… avec nuance

Dans la pratique, de nombreux formateurs, recruteurs et orateurs utilisent la synergologie pour décoder le langage non verbal : micro expressions, position corporelle, gestes humains, mouvements des paupières, sourcils, pupilles, posture ouverte ou fermée, mains dans ses poches, bras croisés, main devant la bouche… ces éléments non verbaux sont scrutés pour comprendre le langage du corps et tenter de deviner les intentions ou d’analyser au regard l’attitude physique d’un interlocuteur.

Lors d’un entretien d’embauche, un recruteur peut observer un contact visuel fuyant, un regard tournant vers le bas, ou un signe d’agacement, comme un hochement de tête rapide. Ces indices non verbaux peuvent révéler un inconfort émotionnel, mais aussi être le fruit d’une timidité ou d’un état d’esprit anxieux : isoler un signe verbal ou comportement non verbal sans tenir compte du contexte verbal, du discours verbal, du ton de la voix ou de silences peut entraîner des interprétations erronées.

Les gestes corporels, comme un geste de confiance (main sur la hanche) ou un geste parasite (manteau, caresses nerveuses), sont partie intégrante du langage corporel ; la synergologie propose un code gestuel censé être universel. Mais selon une étude de l’Université de Montréal, l’absence de tests scientifiques empiriques rend impossible la généralisation de ces codes d’un individu à un autre.


Pour un orateur ou un formateur en communication interpersonnelle, apprendre à adapter son langage, maîtriser son expression gestuelle, établir un contact visuel, ou utiliser des gestes d’ouverture est utile : cela contribue à donner une bonne première impression, à maîtriser le langage corporel, à enrichir les communications verbales et à renforcer sa crédibilité auprès de l’auditoire.

Cependant, la synergologie reste vigilée : elle peut conduire à des conclusions hâtives : un mimique faciale brève ou un micro mouvement du visage ou des lèvres ne suffisent pas à détecter les mensonges. De même, des notions de dégoût, d’attirance, ou de séduction, souvent interprétées simplement, sont largement dépendantes du langage verbal et non verbal, du contexte, de la culture, ou du degré de confort social.

En somme, la synergologie encourage à apprendre à décoder les expressions du visage, les signes corporels, ou les gestes et attitudes. Mais pour éviter des biais cognitifs ou des attributions erronées (accuser injustement une personne de mentir, par exemple), elle insiste sur le besoin d’adapter ses gestes, ses mots et ses gestes, et de privilégier une approche nuancée, fondée surtout sur la congruence entre le message verbal, l’intonation, et le comportement non verbal.


Conclusion : se former au non verbal en conscience

La synergologie est un outil de décodage comportemental apprécié de certains formateurs, coachs et recruteurs pour ses clés d’analyse de la communication non verbale, gestuelle, posture, expressions faciales ou sourire. Mais scientifiquement, elle demeure une pseudoscience, faute de validation indépendante, de méthodes rigoureuses et de vérifications expérimentales.

Pour un public général, l’essentiel est de maîtriser l’écoute interpersonnelle, identifier des signaux corporels (bras croisés, contact visuel, mains dans les poches, posture ouverte), sans en tirer des conclusions définitives. Comprendre son langage gestuel et celui de l’autre est utile, à condition d’accompagner ces décodages de contextualisation, intention verbale, intonation, micro expression, ambiguïté et culture.


Sources
Revue de psychoéducation, Université de Montréal; OpenEdition Journals; Les Sceptiques du Québec.

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