Retour de Donald Trump : l’Amérique d’abord, à tout prix

Donald Trump, sa femme Melania Trump et ses enfants lors de la cérémonie d'investiture dans le Capitole , le 20 janvier 2025 à Washington, DC. Crédit image : (©via REUTERS)

Après quatre ans passés loin du pouvoir, Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche depuis le 20 janvier 2025. Son investiture marque le début d’un second mandat placé sous le signe d’« America First ». Isolationnisme assumé, protectionnisme économique, fermeté migratoire et retraits d’accords internationaux : le 47ᵉ président des États-Unis déploie à nouveau la recette qui avait fait sa marque. Quels changements propose-t-il et quelles conséquences pour les États-Unis et le monde ? Tour d’horizon des grands axes de son programme.

Repli isolationniste : l’Amérique se retire de la scène mondiale

Donald Trump n’a rien perdu de son goût pour le slogan « America First ». Dès son discours inaugural, il a dressé le tableau d’une Amérique “trahie” et affaiblie, promettant de la « rescaper » en la recentrant sur ses intérêts nationaux. Concrètement, cela se traduit par un net repli isolationniste : Washington renonce à endosser le rôle de gendarme du monde et privilégie ses enjeux internes. Selon un sondage récent, 62 % des Américains estiment d’ailleurs que leur pays serait « mieux servi en se retirant des affaires internationales pour se concentrer sur ses problèmes domestiques ». Ce sentiment populaire, amplifié par l’épuisement des longues guerres passées, offre à Trump un appui pour justifier sa politique étrangère minimaliste.

Sur le terrain, ce virage isolationniste se manifeste déjà. En Europe, les alliés de l’OTAN s’inquiètent d’une possible baisse du soutien américain, notamment vis-à-vis de l’Ukraine. Durant la campagne, Donald Trump avait promis de mettre fin rapidement à la guerre en Ukraine, quitte à « forcer Kyiv et Moscou à un accord ». À la Maison-Blanche, il a depuis conditionné l’aide militaire américaine à des pourparlers de cessez-le-feu. Les États-Unis, qui ont déjà alloué plus de 100 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine depuis 2022, annoncent vouloir freiner ces dépenses. Cette approche pragmatique – certains diront expéditive – inquiète les Européens : ils redoutent qu’un gel du conflit ne consacre les gains territoriaux de la Russie et n’érode la crédibilité des engagements américains. Parallèlement, Trump accentue la pression sur les alliés pour qu’ils augmentent leurs propres budgets de défense. Il rappelle que seuls 11 des 31 pays de l’OTAN atteignent déjà l’objectif de 2 % du PIB consacré à la défense, et prévient que l’Amérique “ne paiera plus pour les autres”. Bien que aucun retrait de l’OTAN ne soit officialisé, ce ton ferme alimente un climat d’incertitude en Occident. L’administration Trump, elle, assume ce virage : « Nous ne sacrifierons plus une seule vie américaine dans des conflits sans fin à l’étranger », martèle le nouveau président, qui se pose en protecteur des intérêts nationaux avant tout.

Politique étrangère protectionniste : le grand retour des tarifs douaniers

Sur le front économique, Donald Trump relance tambour battant son offensive protectionniste. Son objectif affiché est de restaurer la puissance manufacturière des États-Unis, même si cela implique des frictions commerciales avec le reste du monde. Dans les tout premiers jours de son mandat, il a signé des ordres exécutifs instaurant de nouveaux droits de douane généralisés. Le principe est clair : quasiment toutes les importations seront taxées de 10 % supplémentaires, avec des hausses ciblées bien plus élevées pour certains pays. La Chine, en particulier, fait face à des tarifs punitifs pouvant atteindre +60 points de pourcentage sur ses produits phares, un moyen de « punir ses pratiques déloyales ». D’autres partenaires traditionnels sont aussi visés : le Canada et le Mexique ont été menacés d’une taxe de 25 % sur leurs exportations vers les États-Unis si de nouvelles concessions commerciales ne sont pas obtenues. Même l’Union européenne, déjà épargnée de justesse lors du premier mandat Trump, redoute désormais des barrières inédites – par exemple des tarifs sur l’automobile allemande – dans cette guerre commerciale qui s’annonce.

La stratégie économique de Trump se veut offensive. Le président se qualifie lui-même de « tariff-man » (homme des tarifs douaniers) et voit ces taxes comme un instrument multi-usage : à la fois protéger l’emploi américain, rééquilibrer la balance commerciale et financer certaines mesures intérieures. Il a ainsi évoqué l’idée provocatrice de remplacer l’impôt fédéral sur le revenu par les recettes des droits de douane. Derrière ces annonces choc, la réalité statistique reste têtue : malgré le protectionnisme de son premier mandat, le déficit commercial américain a frôlé les 920 milliards de dollars en 2024, proche de son record historique. Les importations bon marché – en provenance de Chine, du Mexique ou d’ailleurs – continuent d’inonder le marché américain, alimentées par la demande des consommateurs. En réponse, Trump durcit encore le ton : il envisage de renégocier l’ACEUM (le traité de libre-échange nord-américain rebaptisé en 2018) pour arracher de meilleures clauses au Canada et au Mexique, quitte à dénoncer l’accord si ses conditions ne sont pas satisfaites.

Cette surenchère protectionniste fait craindre un emballement. Les partenaires commerciaux préparent la riposte : Pékin a déjà annoncé des mesures de rétorsion ciblant les exportations agricoles américaines, tandis que Bruxelles envisage une plainte devant l’OMC pour contester la légalité des tarifs universels de Washington. Des économistes tirent la sonnette d’alarme : une guerre commerciale généralisée pourrait coûter -0,5 % de PIB mondial d’ici l’an prochain, et amputer la croissance des États-Unis eux-mêmes. Certes, certains secteurs industriels américains se réjouissent de ces mesures (acier, aluminium, biens manufacturés) et espèrent rapatrier des usines. Mais d’autres secteurs redoutent les conséquences : les agriculteurs américains, déjà éprouvés lors des précédentes salves de tarifs chinois, craignent de perdre d’importants marchés d’exportation. De plus, l’inflation, en baisse fin 2024, pourrait repartir à la hausse avec la flambée du prix des produits importés taxés. Autant de risques que l’administration Trump minimise pour l’instant, confiante que le rapport de force commercial tourne à l’avantage des États-Unis. « Redonner à l’Amérique sa grandeur industrielle » a un prix ; Donald Trump semble prêt à le payer, tout en pariant que le reste du monde pliera devant la puissance économique américaine.

Durcissement migratoire : une forteresse américaine en construction

L’immigration est l’autre grand chantier sur lequel Donald Trump appuie sans réserve. Dès le 20 janvier 2025, dans les heures suivant son investiture, il a signé dix décrets présidentiels en rafale pour concrétiser ses promesses de campagne sur le sujet. L’objectif proclamé : « reprendre le contrôle total des frontières des États-Unis ». Le ton est donné par la déclaration immédiate d’une urgence nationale à la frontière sud. Ce décret d’urgence autorise la reprise et l’achèvement de la construction du mur frontalier le long du Mexique – interrompue sous Joe Biden – et permet le déploiement de milliers de militaires pour appuyer les gardes-frontières. Dans la foulée, Trump a ordonné la fin de la politique dite « catch and release » (relâcher les migrants en attente d’audience) : désormais, tout étranger en situation irrégulière sera placé en rétention jusqu’à son expulsion, sans possibilité de libération provisoire.

Parmi les mesures les plus controversées figure la suspension complète du droit d’asile. Par proclamation présidentielle, la frontière américaine est désormais fermée aux demandeurs d’asile qui la franchissent sans autorisation – ils seront reconduits illico presto, sans examen de leur requête, au nom de la “lutte contre l’invasion”. Des organisations de défense des réfugiés dénoncent une violation du droit d’asile tel que défini par la loi américaine depuis 1980, et ont aussitôt déposé des recours en justice. Autre coup de tonnerre juridique : un décret met fin à la citoyenneté par droit du sol (jus soli) pour les enfants nés aux États-Unis de parents sans statut légal. Ce principe, garanti par le 14ᵉ amendement de la Constitution depuis 1868, se voit remis en cause par une nouvelle interprétation restrictive – une initiative qui sera là aussi tranchée par les tribunaux. En parallèle, l’administration Trump a gelé toute admission de réfugiés pour au moins 6 mois, le temps de “réaligner le programme sur les intérêts américains”. En pratique, le nombre de réfugiés autorisés à s’installer aux États-Unis tombera à zéro pendant cette période, alors que le précédent gouvernement avait prévu un quota de 125 000 places en 2025.

Ce durcissement sans précédent vise à décourager l’immigration clandestine, qui avait atteint des sommets ces dernières années. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 2,3 millions de migrants ont été appréhendés à la frontière américano-mexicaine durant l’année 2022, un record absolu. Face à ce flux, Donald Trump adopte une approche de tolérance zéro. Son nouvel homme fort à l’immigration, Tom Homan – ex-directeur de l’ICE – promet des raids de grande ampleur pour arrêter et expulser les sans-papiers à travers tout le pays, ciblant en priorité les criminels et les membres de gangs. Pour soutenir cette campagne, Trump a même ordonné de classer les grands cartels de la drogue mexicains comme organisations terroristes étrangères, ouvrant la porte à des sanctions plus dures (voire à des opérations à l’étranger). Du jamais-vu dans la coopération entre Washington et Mexico.

La riposte s’organise. Des associations de défense des immigrants et des libertés civiles se mobilisent et préparent des batailles judiciaires contre la politique Trump, qu’elles qualifient de “cruelle” et contraire aux valeurs américaines. Sur le plan politique intérieur, le sujet divise profondément : d’après un sondage national, les Américains sont partagés à 50/50 sur la question d’expulser massivement les 11 millions d’immigrés sans statut du pays – une polarisation extrême suivant les lignes partisanes. À l’international, les voisins des États-Unis s’inquiètent aussi. Le Mexique redoute qu’un afflux de migrants refoulés ne vienne grossir les campements à sa frontière nord et aggraver la crise humanitaire. Les gouvernements d’Amérique centrale, d’où proviennent de nombreux migrants, craignent de voir rapatrier en masse des populations vulnérables sans plan d’accueil. Malgré ces mises en garde, Donald Trump campe sur ses positions, convaincu que la fermeté paiera. « Notre laxisme a pris fin aujourd’hui », a-t-il déclaré en signant ces décrets, faisant de l’immigration l’un des marqueurs les plus forts de son retour au pouvoir.

Retrait d’accords multilatéraux : Washington fait cavalier seul

Fidèle à sa vision souverainiste, Donald Trump a entrepris de déboulonner l’héritage multilatéral de son prédécesseur dès son arrivée. Le 20 janvier 2025, devant une foule de partisans en liesse, il a officiellement enclenché le retrait des États-Unis de plusieurs engagements internationaux majeurs. Le premier symbole a été l’Accord de Paris sur le climat. Par un ordre exécutif signé en direct sur scène, Trump a notifié l’ONU que les États-Unis se retiraient une nouvelle fois de l’accord climatique adopté par 195 nations. Cette décision, déjà prise lors de son premier mandat (avant d’être annulée par Joe Biden), isole de nouveau Washington sur la question climatique. Une fois la sortie effective (délai d’un an), les États-Unis rejoindront le cercle très fermé des seuls pays hors de l’Accord de Paris – aux côtés de la Libye, du Yémen… et de l’Iran. L’administration Trump justifie ce retrait par la défense de l’économie nationale : selon le président, l’accord « sabote l’industrie américaine et transfère nos dollars vers des pays qui n’en ont pas besoin ». En clair, la Maison-Blanche refuse de contribuer aux financements climatiques pour les pays en développement et entend lever les contraintes pesant sur les énergies fossiles aux États-Unis. Les alliés européens ont déploré cette décision « regrettable », tout en affirmant que « l’action climatique mondiale est plus forte que la politique d’un seul pays ». Concrètement, l’abandon par la première économie mondiale de ses objectifs de réduction d’émissions (initialement -50 % d’ici 2030) complique l’effort global pour limiter le réchauffement sous le seuil critique de 1,5 °C.

Autre coup d’éclat : le président américain a confirmé le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), accusant celle-ci d’inefficacité et de partialité. Cette rupture, initiée en 2020 puis annulée par Biden, prive l’OMS de la contribution américaine – soit environ 15 % de son budget total. Un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars qui pourrait affecter des programmes vitaux (vaccinations, surveillance pandémique, etc.) dans les pays pauvres. Les responsables de l’OMS ont exprimé leur préoccupation, rappelant que la coopération américaine avait été déterminante pour l’éradication de maladies comme la polio. Washington, lui, conditionne tout retour dans l’organisation à de vastes réformes internes, pour l’heure hypothétiques. Dans la même veine, Donald Trump a annoncé le boycott du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qu’il juge « biaisé et inefficace ». Il s’agit là encore d’un comeback : il avait déjà quitté cette instance en 2018, reprochant son « obsession anti-israélienne », et le refait aujourd’hui alors que l’administration Biden y avait réintégré les États-Unis. De plus, la Maison-Blanche a confirmé qu’elle ne verserait aucun financement à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens – prolongeant ainsi le gel budgétaire décrété lors du premier mandat Trump. Ces décisions s’alignent avec la visite à Washington du premier ministre israélien en février, M. Netanyahu, qui a salué la position dure de son allié américain vis-à-vis des institutions onusiennes.

Sur le plan diplomatique, ce désengagement multilatéral est perçu comme un nouveau retrait de l’Amérique du leadership global. Les alliés traditionnels des États-Unis, de l’Europe à l’Asie, s’adaptent à ce changement de cap. L’Union européenne, par exemple, affirme qu’elle poursuivra les objectifs de l’Accord de Paris “avec ou sans les États-Unis” et envisage d’accentuer sa coopération climatique avec la Chine. De son côté, Pékin pourrait profiter de l’espace laissé vacant par Washington pour accroître son influence au sein des agences internationales – une perspective que de nombreux diplomates occidentaux observent avec appréhension. À l’ONU, plusieurs voix regrettent « l’absence américaine à la table des discussions » sur des enjeux mondiaux comme le climat, la santé ou les droits humains, mais espèrent que ce retrait sera temporaire.

En politique comme en météo, les changements brusques ont leurs effets. Le retour de Donald Trump à la présidence amorce un virage sans compromis, qui enchante sa base électorale tout en bousculant l’ordre international établi. Isolationnisme assumé, protectionnisme commercial, forteresse migratoire et rupture multilatérale composent le nouveau visage de l’Amérique version Trump II. Reste à savoir si cette stratégie permettra, comme il l’affirme, de renforcer la prospérité et la sécurité des États-Unis – ou si elle finira par isoler durablement le pays sur la scène mondiale, au risque d’ouvrir une ère d’incertitudes pour ses alliés comme pour ses adversaires.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*