Le projet de vente de 60 Millions de Consommateurs par l’État indigne les associations de défense des consommateurs

L’État français a annoncé la vente du magazine public 60 Millions de Consommateurs, emblème de l’information indépendante. Cette décision intervient dans un contexte financier difficile et suscite une vive opposition. Les acteurs de la défense des consommateurs dénoncent un sacrifice de l’intérêt général sur l’autel des économies budgétaires. Un débat s’engage sur l’avenir de l’information impartiale au service des citoyens.

Un patrimoine d’information pour des générations

Créé en 1970 sur l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, 60 Millions de Consommateurs est rapidement devenu un pilier incontournable pour les usagers. Ce mensuel, édité par l’Institut national de la consommation (INC) à Malakoff, se distingue par sa neutralité et son absence totale de publicité. Depuis sa naissance, le magazine a su gagner la confiance des lecteurs grâce à des tests comparatifs, des enquêtes approfondies et des décryptages juridiques qui lui confèrent une crédibilité rare dans le paysage médiatique. Véritable laboratoire de la consommation, il a permis à des générations de consommateurs de mieux comprendre leurs droits et d’exercer un contrôle citoyen sur le marché.

Des difficultés économiques qui fragilisent un service public

Au fil des années, malgré une réputation sans faille, le magazine s’est retrouvé confronté à des défis économiques grandissants. Le nombre d’abonnés a chuté drastiquement, passant de 140 000 en 2019 à seulement 76 000 en 2024, tandis que le titre accuse un déficit persistant depuis sept ans. La réduction des subventions de l’État, qui sont passées de 6,3 millions d’euros en 2012 à 2,7 millions en 2020, a accentué la pression financière sur cet outil de service public. Ces difficultés mettent en lumière un dilemme majeur : comment concilier mission d’intérêt général et exigences de rentabilité dans un marché de la presse de plus en plus concurrentiel et en déclin ?

La décision gouvernementale et la mobilisation des acteurs

Face à ce contexte préoccupant, le gouvernement a opté fin 2024 pour la cession du magazine au secteur privé. Selon la Cour des comptes, maintenir une activité de presse subventionnée dans un environnement concurrentiel n’est plus viable, notamment en présence d’un autre acteur reconnu comme Que Choisir de l’UFC. L’objectif affiché par le ministère de l’Économie est double : trouver un repreneur capable d’investir dans le numérique et redynamiser la stratégie marketing, tout en optimisant l’usage des deniers publics. Cette annonce a provoqué une onde de choc parmi les salariés et les journalistes, qui craignent de voir se dissoudre l’indépendance éditoriale, remplacée par des logiques commerciales et une surmédiatisation sponsorisée par des influenceurs et des intérêts privés. Les syndicats et les associations de défense des consommateurs, réunis autour d’une pétition qui a recueilli plus de 107 000 signatures, dénoncent ce qu’ils perçoivent comme la privatisation pure et simple d’un contre-pouvoir indispensable.

Enjeux démocratiques et perspectives d’avenir

Au-delà des chiffres et des bilans financiers, le débat porte sur la valeur même de l’information indépendante. Les défenseurs de 60 Millions de Consommateurs redoutent que le passage sous contrôle privé n’entraîne une perte irrémédiable de sa mission éducative et de protection des consommateurs. La crainte est qu’un grand groupe de presse, habitué aux impératifs commerciaux, ne puisse garantir la même rigueur et la même impartialité qui ont fait la force du journal depuis plus de cinquante ans. L’avenir de l’INC, dont deux tiers des ressources dépendent de ce magazine, est également en jeu, menaçant une cinquantaine d’emplois hautement spécialisés et l’ensemble d’un écosystème dédié à l’éducation à une consommation responsable. Au cœur de ce débat se trouve la question essentielle de la démocratie : la protection d’un service public d’information, qui, en restant libre de toute pression publicitaire, a toujours permis de faire évoluer les pratiques industrielles et de défendre les droits des citoyens. En décidant de céder ce patrimoine médiatique, l’État assume une politique de réduction des dépenses, mais au prix d’un recul potentiellement considérable de l’information indépendante. Si la voix de 60 Millions de Consommateurs s’éteint ou se transforme, c’est toute la société qui pourrait en pâtir, particulièrement les ménages modestes et les publics moins familiers des outils numériques payants.

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