
La compagnie maritime italienne GNV fait une entrée remarquée sur les lignes de ferries reliant la France à l’Algérie. En lançant dès l’été 2025 de nouvelles traversées hebdomadaires depuis Sète vers Alger et Béjaïa, le transporteur propose une alternative inédite aux liaisons existantes, dominées par Algérie Ferries et Corsica Linea. Cette offensive, accompagnée d’une importante promotion tarifaire, promet d’intensifier la concurrence sur un marché en pleine croissance, tout en offrant de nouvelles opportunités aux voyageurs et aux économies locales des deux rives de la Méditerranée.
Un nouvel acteur sur les liaisons France–Algérie
Grandi Navi Veloci (GNV), filiale du géant maritime MSC, s’implante pour la première fois en Algérie et élargit son réseau méditerranéen. Fondée en 1992, la compagnie italienne exploite déjà 31 lignes dans 7 pays (dont le Maroc et la Tunisie) grâce à une flotte de 25 navires. À partir du 3 juin 2025, GNV ajoutera à son programme deux liaisons hebdomadaires depuis le port de Sète (sud de la France) à destination de l’Algérie. Chaque semaine jusqu’au 30 septembre 2025, un ferry reliera Sète à Alger, tandis qu’un autre effectuera la liaison Sète – Béjaïa. L’ouverture de ces lignes directes depuis Sète – un port plus accessible pour de nombreux voyageurs du sud et de l’ouest de la France – constitue une étape stratégique pour GNV. Elle offre un accès alternatif aux traversées longtemps concentrées au départ de Marseille, principal hub historique vers l’Algérie. Le choix de Sète n’est pas anodin : le port phocéen de Marseille ayant refusé d’accueillir GNV sur ce segment (préservant ses partenariats existants), la compagnie italienne a saisi l’opportunité de développer ses services depuis Sète, renforçant ainsi la desserte du littoral algérien par l’ouest de la Méditerranée.
Capacité et services : GNV mise sur le confort et le prix
Pour assurer ces nouvelles traversées, GNV mobilisera un navire de grande capacité – le ferry Fantastic – sur l’ensemble des rotations Sète–Alger et Sète–Béjaïa. Ce bateau peut transporter autour de 2 400 passagers et plus de 700 véhicules, gage d’une offre substantielle en places disponibles pour la haute saison. La durée du voyage sera d’environ 20 à 22 heures par traversée, ce qui est comparable aux liaisons existantes depuis Marseille. Consciente des besoins spécifiques de la clientèle maghrébine, la compagnie a adapté ses services à bord : cuisine halal au restaurant, espaces de prière dédiés et aménagements pensés pour les familles (aires de jeux, cabines familiales). Ces attentions visent à séduire la nombreuse diaspora algérienne d’Europe, habituée à voyager en famille et souvent chargée de bagages volumineux ou de véhicules personnels.
Surtout, GNV frappe fort sur le plan tarifaire. L’armateur a annoncé une réduction de 40 % sur le prix des billets à l’occasion du lancement des ventes. Cette remise exceptionnelle sera appliquée pendant la première semaine d’ouverture des réservations, du 7 au 14 avril 2025, afin d’inciter les voyageurs à planifier leur traversée bien en amont de l’été. La stratégie de prix agressive de GNV contraste avec le niveau élevé des tarifs généralement pratiqués sur la liaison France–Algérie, régulièrement critiqués par les usagers. En récompensant les réservations anticipées, la compagnie affiche clairement sa volonté de conquérir une clientèle fidèle dès sa première saison. GNV propose en outre une formule de prévente avantageuse pour les familles : il suffira de verser un acompte de 10 % à la réservation pour bloquer le tarif, le solde n’étant dû qu’un mois avant le départ. Cette flexibilité financière, couplée aux promotions, témoigne d’une offensive commerciale visant à rendre le voyage plus abordable pour les ménages et à gagner des parts de marché face aux concurrents en place.
Concurrence accrue face aux acteurs historiques
L’entrée de GNV constitue un changement majeur dans le panorama du transport maritime entre la France et l’Algérie. Jusqu’à présent, deux compagnies se partageaient la majeure partie du marché des passagers : la société publique algérienne Algérie Ferries (ENTMV) et la compagnie française Corsica Linea (héritière de l’ex-SNCM). Celles-ci opèrent principalement au départ de Marseille vers plusieurs ports algériens (Alger, Oran, Béjaïa, Skikda, Annaba), avec des fréquences renforcées pendant l’été – Algérie Ferries prévoit par exemple près de 87 rotations depuis Marseille pour la saison estivale 2025. L’arrivée de GNV, désormais quatrième opérateur sur cet axe (aux côtés d’un nouvel entrant privé algérien, Nour El Bahr Ferries, qui a débuté des liaisons Marseille–Algérie fin 2024), vient bousculer cet équilibre. Pour la première fois, un transporteur italien s’attaque à ce corridor maritime, fort de l’expérience acquise sur les lignes voisines vers Tunis ou Tanger.
Les acteurs historiques voient d’un œil prudent cette nouvelle concurrence. En amont de l’annonce officielle, des représentants du secteur en France avaient dénoncé une possible « concurrence déloyale » de GNV, pointant du doigt le différentiel de conditions sociales entre compagnies françaises et italiennes. Le syndicat des marins CGT, relayé par la presse en février, s’inquiétait d’un « dumping social » lié au recours de GNV à des équipages internationaux à bas coûts, et a même sollicité sans succès l’annulation de l’autorisation d’escale à Sète pour la compagnie italienne. Ces résistances syndicales traduisent la crainte d’une guerre des prix et d’une pression accrue sur les parts de marché. Sur le terrain commercial, Algérie Ferries et Corsica Linea devront en effet adapter leur stratégie. On peut s’attendre à ce qu’elles multiplient les offres promotionnelles et améliorent la qualité de service pour fidéliser leur clientèle face à l’offre alternative de GNV. La concurrence accrue pourrait ainsi se traduire par une baisse des prix moyens des traversées et une amélioration des prestations – au bénéfice ultime des consommateurs.
Du point de vue des capacités, l’apport de GNV va augmenter le volume total de sièges disponibles cet été entre la France et l’Algérie. Chaque liaison hebdomadaire de la compagnie italienne pourra transporter plus de deux mille voyageurs supplémentaires dans chaque sens. Cet accroissement de l’offre intervient alors même que la demande est en hausse : le flux de passagers sur les ferries France–Algérie a progressé d’environ +8 % ces dernières années, signe d’un regain d’attractivité de la voie maritime pour la diaspora et les touristes. En 2023, pas moins de 434 000 voyageurs ont transité via Marseille sur les lignes algériennes, un chiffre en forte reprise après les années de pandémie. L’arrivée d’un nouvel opérateur devrait stimuler encore ce marché en plein essor, en encourageant davantage de voyageurs à opter pour le bateau grâce à la diversification de l’offre.
Retombées pour les voyageurs et les économies locales
L’offensive de GNV sur la Méditerranée occidentale pourrait avoir des effets positifs bien au-delà de la simple baisse des prix. Pour les voyageurs d’abord, c’est la promesse d’une plus grande facilité de déplacement entre la France et l’Algérie. La diaspora algérienne, estimée à plusieurs millions de personnes en Europe, bénéficiera de plus de choix pour rentrer au pays durant l’été. Jusqu’à présent, obtenir une place sur un ferry en haute saison relevait parfois du défi en raison du nombre limité de traversées et de la saturation rapide des bateaux. En ajoutant deux départs hebdomadaires supplémentaires, GNV va fluidifier le trafic et réduire le risque de pénurie de billets en période de pointe. Les passagers motorisés (emportant voiture ou utilitaire) disposeront aussi de créneaux additionnels pour transporter leurs véhicules et bagages volumineux, une logistique précieuse pour les vacances familiales au bled. Par ailleurs, l’ouverture d’une route via Sète pourrait réduire les temps de trajet terrestres pour de nombreux expatriés habitant le Grand Sud-Ouest français, qui n’auront plus systématiquement à traverser toute la France jusqu’à Marseille pour embarquer.
Au-delà des voyageurs individuels, les économies locales pourraient tirer parti de cette nouvelle donne. En France, le port de Sète voit son rôle régional renforcé : ces liaisons régulières vers l’Algérie vont générer un surcroît d’activité portuaire, des recettes et potentiellement des emplois saisonniers liés à l’accueil des ferries (services portuaires, contrôles douaniers, assistance aux passagers, etc.). Pour la ville de Sète et sa région, se positionner comme une porte d’entrée vers le Maghreb diversifie l’activité du port (déjà actif vers le Maroc) et accroît sa visibilité internationale. Côté algérien, l’effet d’entraînement pourrait être encore plus marqué. Le port de Béjaïa, notamment, profitera d’une mise en lumière bienvenue : souvent relégué au second plan par rapport à Alger, ce port de la côte kabyle va accueillir pour la première fois une liaison directe avec la France. Cela devrait stimuler le trafic de voyageurs dans toute la région de Béjaïa et de la Petite Kabylie, favorisant le tourisme familial et le commerce local pendant la saison estivale. Restaurants, hôtels, loueurs de voitures et commerçants locaux pourraient voir affluer une clientèle additionnelle grâce à l’accessibilité améliorée. De même, Alger tirera avantage de l’accroissement global des arrivées par voie maritime, qui viennent compléter l’offre aérienne souvent saturée en été. Chaque membre de la diaspora qui choisit le ferry pour rentrer au pays représente des dépenses sur place (hébergement, restauration, loisirs) dont l’impact bénéfique se répercute sur l’économie algérienne.
Sur le plan stratégique, l’entrée de GNV peut aussi être vue comme un catalyseur pour moderniser le secteur. Face à un nouvel entrant dynamique, les compagnies historiques et les autorités portuaires pourraient accélérer des améliorations opérationnelles : par exemple, investir dans de meilleures infrastructures d’embarquement, optimiser la ponctualité des traversées ou encore étoffer les offres de services à bord. À terme, l’ensemble du secteur du transport maritime entre la France et l’Algérie pourrait gagner en compétitivité et en qualité de service. Cette concurrence élargie s’inscrit dans un contexte plus large de renouveau des liaisons transméditerranéennes, marqué par le retour de la croissance des échanges humains et économiques entre l’Europe et l’Algérie. Si GNV parvient à s’implanter durablement avec ces lignes estivales, cela ouvrira la voie à une connectivité renforcée entre les deux pays – au bénéfice tant des voyageurs que des territoires desservis.
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