
Depuis plusieurs années, l’Algérie fait face à une crise sans précédent sur son marché automobile. Les concessionnaires sont à l’arrêt, les showrooms vides, et les voitures d’occasion atteignent des prix exorbitants. Malgré des besoins croissants de la population en véhicules, les politiques successives ont freiné l’offre disponible. Le gouvernement a amorcé depuis 2023 une série de mesures pour relancer le secteur, mais les Algériens s’interrogent : combien de temps encore avant un retour à la normale ?
Un marché paralysé et des prix qui flambent
Pendant plus de six ans, les Algériens ont vu fondre l’offre de voitures neuves. Entre 2017 et 2023, l’importation de véhicules neufs a été purement et simplement gelée, tandis que les tentatives de production locale stagnaient. Conséquence directe : le parc automobile vieillit et le marché de l’occasion s’est enflammé. Sur les sites de vente et les marchés hebdomadaires, des scènes surréalistes sont devenues courantes. On a vu par exemple une vieille Peugeot de plus de vingt ans proposée à plus de 3 millions de dinars (soit environ 12 000 euros), et son propriétaire juger ce prix raisonnable vu la pénurie. Les modèles d’occasion les plus recherchés se négocient à des tarifs record, souvent en hausse de plusieurs centaines de milliers de dinars en l’espace de quelques mois. Cette flambée, alimentée par l’absence de véhicules neufs disponibles, a rendu l’automobile quasi-inaccessible pour une large frange de la population. Les ménages algériens, déjà éprouvés par une inflation élevée, subissent de plein fouet ce coût exorbitant de la mobilité individuelle, tandis que l’achat d’une voiture est devenu un luxe rare en Algérie.
Or, cette situation n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat de choix politiques assumés. À partir de 2015-2016, face à la chute des revenus pétroliers, l’État a voulu réduire la facture d’importation en restreignant drastiquement l’entrée de véhicules étrangers. La stratégie visait à forcer l’implantation d’usines d’assemblage locales et à favoriser une industrie nationale. Cependant, les usines promises n’ont pas tenu leurs promesses : scandales de corruption, retards et faible intégration ont conduit à un quasi-arrêt de la production dans la période 2019-2022. Durant ces années, aucune alternative crédible n’est venue combler le manque. Le marché de l’automobile s’est retrouvé grippé : des besoins toujours plus forts d’un côté, et de l’autre des contraintes économiques et réglementaires qui ont asséché l’offre. Le résultat se lit aujourd’hui sur le terrain, avec un marché en proie à une pénurie endémique de véhicules et des acheteurs contraints de payer le prix fort pour la moindre voiture d’occasion en état.
Lente reprise des importations : un retour encadré
Face à la demande pressante des citoyens, 2023 a marqué un tournant avec le retour progressif des importations de voitures en Algérie. Après des années de suspension, le gouvernement a finalement autorisé de nouveaux concessionnaires à approvisionner le marché, sous des conditions strictes. Pas moins de 127 demandes d’agrément ont été déposées par des opérateurs souhaitant importer des véhicules neufs. À la fin 2023, les autorités avaient accordé une quarantaine de licences effectives, visant l’introduction d’une douzaine de marques sur le marché national. Une enveloppe globale estimée à près de 2 milliards de dollars a été allouée, théoriquement pour importer jusqu’à 180 000 véhicules neufs sur l’année 2023. Cependant, la réalité a été plus timide : à peine 40% de cette enveloppe aurait été utilisée, en raison de retards administratifs et logistiques. Certains importateurs agréés n’ont finalement fait entrer aucun véhicule, tandis que d’autres ont dépassé les quotas fixés, révélant des dysfonctionnements dans ce redémarrage contrôlé du commerce automobile.
Parallèlement, pour soulager rapidement la crise, l’État a également rouvert la porte à l’importation de voitures d’occasion récentes. Une mesure exceptionnelle autorise désormais les particuliers à importer un véhicule de moins de trois ans, à raison d’une unité tous les trois ans. Cette décision, attendue depuis longtemps, a permis à de nombreux Algériens expatriés ou disposant d’économies en devises de ramener au pays des véhicules d’occasion en bon état. Néanmoins, afin d’éviter les dérives spéculatives, des garde-fous ont été instaurés : les voitures importées par ce biais ne peuvent être revendues avant trois années d’usage, sous peine de lourdes taxes. Cette clause, introduite dans la loi de finances 2025, vise à empêcher que l’import personnel ne serve de paravent à un commerce informel et n’alimente une inflation supplémentaire des prix. En dépit de ces restrictions, l’afflux de véhicules d’occasion importés reste modeste et insuffisant pour satisfaire une demande interne colossale. Au moins, la mesure a le mérite de réintroduire quelques véhicules sur le marché en attendant mieux. D’ailleurs, le ministre de l’Industrie a annoncé fin 2024 vouloir autoriser l’importation d’environ 200 000 véhicules neufs supplémentaires dans les mois à venir, pour casser la spirale de rareté. Ces chiffres ambitieux traduisent une volonté d’apaiser la tension, mais ils devront se concrétiser sur le terrain pour avoir un réel impact sur les concessions et les consommateurs.
Relance industrielle : usines locales et nouvelles alliances
En parallèle de l’ouverture mesurée des importations, l’Algérie mise sur une relance industrielle de son secteur automobile. L’objectif affiché est clair : réduire la dépendance aux importations en fabriquant localement une partie substantielle des véhicules demandés par les Algériens. Après une traversée du désert, plusieurs projets d’usines de montage ont enfin émergé en 2023-2024, redonnant espoir à une filière moribonde. Le fer de lance de cette renaissance est Fiat Algérie, filiale du groupe Stellantis, qui a inauguré une grande usine à Tafraoui, près d’Oran. Dès son lancement en décembre 2023, cette usine a entamé la production de modèles Fiat (notamment la citadine 500 hybride), marquant le retour d’une fabrication de voitures particulières sur le sol algérien. En l’espace d’un an, plus de 18 000 véhicules y sont déjà sortis des chaînes, un chiffre encourageant qui dépasse les prévisions initiales. Le site a atteint 10% de taux d’intégration locale grâce à l’implication de sous-traitants nationaux, signe que la réglementation qui impose progressivement un contenu local plus élevé commence à porter ses fruits. Fort de cet élan, Fiat prévoit d’élargir sa gamme produite en Algérie d’ici 2025 et d’accroître ses capacités, avec le soutien actif des autorités.
D’autres constructeurs étrangers ont flairé l’opportunité et s’associent à la relance. Le constructeur sud-coréen Kia a ainsi remis en service son usine de Batna, dans l’est du pays, avec l’ambition de produire plusieurs milliers de véhicules par an. De son côté, le groupe Renault travaille à redémarrer son usine historique d’Oran (mise en sommeil depuis 2020) afin de fournir à nouveau des modèles adaptés au marché local, comme la populaire Renault Clio ou la Dacia Sandero. Surtout, ce sont les marques asiatiques, et en particulier chinoises, qui investissent massivement l’espace industriel algérien. Pas moins des trois quarts des demandes d’implantation d’usines proviennent d’Asie, témoignant de l’intérêt soutenu de ces constructeurs pour le marché algérien. Le géant chinois Chery a commencé à commercialiser ses véhicules importés dès 2023 et a lancé la construction d’une usine à Bordj Bou Arreridj, prévue pour être opérationnelle d’ici fin 2025. Son compatriote JAC lui emboîte le pas avec un projet d’usine à Aïn Témouchent, dans l’ouest, tandis que Geely prépare une unité de production dans la région de Médéa. Même des poids lourds comme Great Wall Motors (GWM) ont annoncé en 2025 le démarrage de leurs travaux, en partenariat avec de grands groupes algériens (le projet GWM est mené avec le conglomérat Cevital, sur un site à Ain Defla). Ces nouvelles usines ambitionnent chacune d’assembler jusqu’à 50 000 à 100 000 véhicules par an à terme, ce qui, cumulé, pourrait transformer radicalement le paysage automobile du pays.
L’arrivée de ces partenaires étrangers s’accompagne de transferts de technologie et de formations locales, que le gouvernement présente comme les germes d’une véritable industrie automobile nationale. Les autorités encouragent également la diversification des modèles vers des véhicules plus économes et même électriques. Par exemple, Great Wall annonce déjà son intention de produire des modèles hybrides sur son futur site. Si ces promesses se concrétisent, l’Algérie pourrait non seulement combler son déficit de voitures, mais aussi devenir un exportateur vers l’Afrique et la région. Néanmoins, ces projets devront surmonter plusieurs défis : assurer un approvisionnement suffisant en pièces, développer un réseau de fournisseurs locaux compétitifs, et surtout ne pas répéter les erreurs du passé en matière de gouvernance et de qualité. Les premiers signes sont certes positifs – avec des inaugurations d’usines dans les délais et un engouement du public pour les nouveaux modèles assemblés localement – mais seule la stabilité dans la durée permettra de juger du succès de cette stratégie de substitution aux importations.
Des consommateurs dans l’expectative : vers la fin de l’impasse ?
Malgré ces évolutions encourageantes, la question du dénouement de la crise automobile en Algérie demeure posée. Du point de vue des consommateurs, l’attente reste longue et le soulagement tardif. Certes, 2024 a vu les premiers camions transporter des véhicules neufs vers les concessionnaires algériens, scène qui n’était plus arrivée depuis des années. De nouvelles marques – souvent chinoises – peuplent désormais les salons automobiles d’Alger et d’Oran, suscitant curiosité et espoir. Les prévisions pour 2025 sont prudemment optimistes : les professionnels anticipent une amélioration de l’offre, avec davantage de modèles disponibles et peut-être une détente progressive des prix sur le marché de l’occasion. Mais la route vers un marché équilibré est encore semée d’embûches. D’une part, la production locale démarrera véritablement à pleine cadence seulement d’ici un à deux ans, le temps que les usines montent en puissance et que leur logistique s’affine. D’autre part, l’État maintient une surveillance stricte sur les importations pour ménager ses réserves de devises, ce qui signifie que les importateurs doivent composer avec des quotas et des procédures lourdes. Trouver le juste équilibre entre approvisionner suffisamment le marché et protéger l’économie nationale est un numéro d’équilibriste délicat pour les pouvoirs publics.
De plus, l’offre actuelle reste limitée en diversité. Le paysage automobile algérien en cette phase de transition est dominé par quelques acteurs émergents, notamment les constructeurs chinois aux modèles souvent axés sur l’entrée de gamme. Si ces derniers proposent des véhicules neufs à des tarifs relativement compétitifs, la clientèle regrette l’absence de nombreuses marques internationales autrefois bien implantées dans le pays. Parmi les grands absents de la relance, on compte des noms populaires comme Chevrolet, Ford, Toyota, Nissan, Honda, Citroën, Seat, Mitsubishi ou Suzuki. Pour diverses raisons – que ce soit d’anciens partenariats avortés, des choix stratégiques ou des retards dans les agréments – ces constructeurs ne figurent pas (ou pas encore) dans les plans actuels de redémarrage du secteur. Leur éviction temporaire limite le choix pour les consommateurs et pourrait freiner la concurrence sur les prix. Beaucoup d’automobilistes algériens espèrent ainsi le retour de ces marques emblématiques, gage de plus de variété et de fiabilité, une fois que le contexte sera stabilisé et propice à de nouveaux investissements.
En attendant, l’heure est à l’observation et à la patience. Le gouvernement algérien affiche sa détermination à résoudre définitivement cette crise qui pèse sur le moral des ménages et sur la mobilité du pays. Reste que pour le grand public, les effets concrets se font encore désirer : le prix moyen des véhicules neufs demeure élevé, les délais d’obtention longs, et le marché de l’occasion ne s’est pas encore ajusté à la baisse. Observateurs et consommateurs scrutent donc les mois à venir, guettant les signes d’un véritable retour à la normale. Le dénouement de la crise automobile en Algérie, tant attendu, pourrait survenir si la production locale monte en régime comme prévu et si les importations retrouvent un rythme soutenu. La sortie de l’impasse, indispensable pour répondre aux besoins de mobilité de la population, dépendra d’une convergence réussie entre ces deux voies. Les prochains mois seront décisifs pour voir si enfin, après des années d’attente, les Algériens pourront à nouveau acheter des voitures à des prix raisonnables et tourner la page de cette crise.
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